Samedi 13 juin:
Nous ne sommes pas restés à Ambatolampy (à la déception de Romain qui voulait se faire un petit sommet) et de bonne heure un taxi-brousse nous à amené à la dernière étape de notre voyage: Merimanjaka, près d'Antananarivo, où Fifi et sa famille nous ont accueilli. Fifi est une directrice d'école avec laquelle je correspond depuis presque un an et qui nous a gentiment proposé de séjourner dans leur maison, qu'ils viennent de faire construire. Nous faisons connaissance avec son mari Jean, son fils Kader (13 ans) qui a déjà échangé des mails et photos avec Lou et leur fille Valiha (15 ans) ainsi que tous les cousins, grand-parents, tantes et oncles. Après un bon repas en famille, Nina part au marché avec ses copines et Lou joue au foot et fait sauter des pétards avec ses potes, pendant que Liv fait la sieste.
L'après-midi nous visitons les environs, le tombeau familial entouré de murailles en terre rouge bicentenaires et d'un fossé destiné à l'époque à protéger les familles nobles des assaillants, et le village.
Nous sommes vraiment accueillis comme des rois par la famille de Fifi, ils nous laissent leur lit, nous préparent de grands repas et gâtent les enfants avec des boissons et sucreries.
Dimanche 14 juin:
Aujourd'hui Liv a « dezans » et j'espère qu'elle se souviendra de son anniversaire. Dès le matin elle s'entraîne à souffler les bougies et elle semble contente d'être le centre d'intérêt!
Ce matin nous sommes invités chez le beau-frère de Fifi pour prendre l'apéro et discuter. Pendant ce temps les enfants continuent à jouer avec leurs nouveaux amis, Nina prépare un véritable petit repas avec Maneva et Malana dans des petites marmites posées sur des braseros miniatures (pâtes, feuilles de manioc pilées et brèdes au menu) pendant que Lou fabrique encore des pétards artisanaux avec Kader et ses cousins.
Puis après avoir mangé le repas de fête préparé par Jean, toute la troupe part faire une balade jusqu'à l'une des 12 collines sacrées qui entourent la capitale. Nous sommes une bonne quinzaine à contourner les rizières pour ensuite monter droit dans la pente sur ces sentiers rouges et raides que nous commençons à connaître maintenant. Nous atteignons le Rova, tombeau en bois de style Zafimaniry orné de cornes de zébu, qui renferme la dépouille d'un roi. Après une belle photo de groupe, nous parcourons le chemin de crête qui sinue entre les larges saignées creusées par l'érosion, décidément typiques à Mada. Et nous arrivons à l'extrémité nord de la colline où sont posés d'énormes rochers aux formes arrondies. C'est le moment pour une petite session de bloc sur granit et de photos aériennes.
Les enfants s'entendent vraiment bien et dans une ambiance joyeuse, nous dévalons la pente au bas de laquelle nous attend le beau frère de Fifi. Il est venu nous chercher avec le 4 X 4 de sa société et nous montons à 17 dans une voiture 7 places, avec écrans vidéo intégrés dans les sièges...Nina n'en croit pas ses yeux, elle veut la même.
Le soir Liv est trop fatiguée pour faire honneur au gâteau d'anniversaire offert par Fifi et Jean, alors on le dévore pour elle...
Lundi 15 juin
Aujourd'hui Romain et moi avons fait un véritable voyage dans le temps chacun de notre côté.
De mon côté, je suis allée à l'école de Fifi avec les enfants, et à peu de choses près je me serais crue dans une classe des années cinquante tel qu'on les voit dans « Les 400 coups », sauf que les enfants étaient plus noirs et plus pauvres.
Pour commencer, les salles de classe avaient servi pour la retraite de première communion pendant le week-end, les enfants ont donc du transporter et installer les bureaux et chaises et balayer les classes. Ils l'ont fait avec un calme et un naturel étonnants. Et quand l'instituteur a sifflé et que les 260 élèves se sont instantanément immobilisés et tus j'ai été encore plus impressionnée. Au deuxième coup de sifflet ils se sont tous mis en rangs d'oignons avec des gestes quasi-militaires puis le drapeau a été hissé, ils ont chanté et prié tous en choeur.
Je suis d'abord allée dans la classe de CP, dans une salle rudimentaire 61 petits élèves, en tabliers bleu marine, certains pieds nus ou dépenaillés disposent d'un cahier, d'une ardoise et d'un stylo bille pour apprendre. Pas de manuels, de photocopies, d'armoires, de feutres, d'affichages...
Je leur ai lu un petit conte et leur maîtresse traduisait au fur et à mesure. Puis j'ai été spectatrice pendant qu'ils comptaient tous en choeur jusqu'à 140, récitaient les tables de multiplication (oui, au CP!), lisaient de syllabes et conjuguaient « être » au présent.
Les enfants sont placés par âge, au premier rang quelques petits surdoués de 4 ou 5 ans et au fond des grands de 8 ou 9 ans qui ont redoublé plusieurs fois. Au milieu d'eux se trouvaient un petit trisomique, un autiste et une fille prématurée qui savent à peine parler.
J'ai aussi fait un petit tour en maternelle ou le manque de matériel est encore plus criant, les petits de 3 ou 4 ans récitent des comptines et passent au tableau pour compter jusqu'à 10. Pas de motricité, de peinture, d'ateliers...
Et l'après-midi Fifi m'a laissé prendre sa classe de CM2 dont les élèves préparent l'épreuve de passage en sixième. Le niveau est difficile, j'ai tenté de leur expliquer la voix passive et la différence entre l'adjectif qualificatif épithète et attribut, ils semblaient tous attentifs et copiaient proprement la leçon, mais je pense que seuls trois ou quatre enfants comprenaient. Ils ne participaient pas du tout, l'enseignement ici est purement transmissif et basé sur l'apprentissage par coeur, on ne cherche pas, comme chez nous, à donner du sens aux apprentissages et à leur apprendre à réfléchir et s'exprimer. C'était un peu frustrant de n'avoir aucun doigt qui se levait quand je leur posais une question. Du coup j'ai abordé une notion beaucoup plus simple (passé, présent, futur) et je les ai fait travailler sur l'ardoise, ce qui les a étonnés, mais ils se sont un peu animés.
Pendant ce temps Lou et Nina travaillaient comme les autres et Liv s'occupaient à dessiner, effacer le tableau, renverser les craies et mâchouiller les gommes sans que ça pose de problème.
Pour ma part, je suis allé en touriste au CSB II (centre de santé de base niveau II) du village, où l'on m'a accueilli comme « notre missionnaire du jour ». En fait c'est la première fois qu'un vazaha vient consulter ici et tout le monde est très chaleureux. L'une des deux femmes médecins m'offre son siège et s'assied sur un tabouret à côté pour faire l'interprète. Et voilà que je dirige la consultation de médecine générale du centre pour la journée avec des moyens restreints (pas d'otoscope ou de lampe, de compresses ou d'aiguilles, encore moins d'ECG ou de négatoscope...pour voir quelles radios?). La salle d'accouchement comprend une table d'accouchement, point final.
A un moment nous nous rendons sous un préau où une vingtaine de jeunes femmes avec leurs enfants écoutent la doctoresse faire une séance d'éducation sanitaire sur la vaccination et la nutrition.
La médecine pratiquée ici est véritablement clinique, l'incertitude est permanente quant au diagnostic mais les patients écoutent et appliquent religieusement les prescriptions. Même les deux femmes médecins me considèrent comme un référent alors qu'elles doivent pouvoir m'en apprendre beaucoup (d'ailleurs je refais un peu mon retard en parasitologie en leur posant quelques questions).
Tout ça donne évidemment envie de leur faire parvenir un minimum de matériel (avis au lecteurs). Leur accueil est tellement aimable, j'ai droit à un petit goûter avec lait de vache et cake, et à un « merci de votre gentillesse » sans pourtant avoir forcé la dose.
En résumé, pour faire le parallèle avec Maria, la bonne volonté existe, la formation et l'application au travail aussi, mais la possibilité de s'ouvrir aux multiples modes d'exercice et à leurs intérêts respectifs est limitée, faute de moyens matériaux et de communication.
Encore un petit aparté pour faire appel aux bonnes volontés et vous dire que les besoins ici sont énormes et qu'avec peu d'argent ils font beaucoup. Certains se souviennent peut-être que Nina avait demandé pour son anniversaire que les invités donnent un peu d'argent plutôt qu'un cadeau, et avec les 200 euros ainsi récoltés, l'école a pu remplacer le toit d'un bâtiment de deux classes et depuis les élèves peuvent travailler même quand il pleut (avant ils se réfugiaient dans l'église). L'association « Les enfants de Merimanjaka » dont s'occupe une française nommée Corinne, a déjà permis de parrainer une quarantaine d'enfants qui ne peuvent pas payer « l'écolage » (15 euros par an qui servent surtout à payer les enseignants), de construire deux classes et d'offrir un service de cantine gratuite deux fois par semaine. Mais beaucoup d'enfants sont encore en attente de parrainage, alors si vous voulez faire un beau geste allez sur le site de l'association.
Mardi 16 juin:
Moins de malades aujourd'hui donc plus de temps pour discuter. J'essaie de mettre à l'aise mes collègues qui me parlent avec trop de déférence. Mais comment faire autrement quand on gagne 20 fois moins pour un nombre d'années d'étude quasi-équivalent (150 euros/mois sachant que le coût de la vie est plutôt de 5 à 10 fois moindre ici par rapport à chez nous)? La sage femme est d'ailleurs sur le point de quitter le centre pour raisons financières. Comment faire alors pour gérer les 20 naissances mensuelles? Partager son savoir et ses expériences est en tous cas très agréable et chacun est reconnaissant. Cet après midi c'est séance photo de prévu, Nina et Liv vont m'accompagner..
Du côté enseignants par contre le niveau d'études n'est pas le même, il suffit d'avoir le BEPC et une formation de 15 jours, et encore, dans les écoles publiques rurales ils recrutent des jeunes qui ne sont allés que jusqu'en quatrième! Cela se ressent sur l'enseignement, certains instits ont une pédagogie innée, mais d'autres pas du tout et combiné au manque de moyens cela donne des résultats très limités.
Un enseignant en primaire gagne ici entre 60 000 et 80 000 ariary par mois (soit environ 30 euros) et ils ne sont pas payés pendant les vacances, ils doivent collecter de l'argent pendant la fête de fin d'année pour pouvoir manger pendant l'été!
Ce matin les élèves ont chacun apporté un petit bout de bois pour le feu et une dizaine de mamans ont fait chauffer des énormes marmites sur des braseros dans un coin de la cour, car aujourd'hui c'est jour de cantine. A midi les enfants sortent une assiette en fer blanc et une fourchette de leur cartable et s'installent dans leurs classes où ils se font servir un bol de riz avec un petit bout de viande et des brèdes (sorte d'épinards). Grâce à cette initiative l'absentéisme a beaucoup diminué et les enfants les plus pauvres ont au moins deux véritables repas par semaine.